Il y a 35 ans, une éternité donc, nombreux étaient ceux qui prenaient les marins pour des fous à l’heure de partir à l’assaut du globe. Dix éditions plus tard, il y a toujours des fous - joyeux et téméraires - à s’élancer pour la même aventure. Ces marins-là, quarante amateurs de large de 23 à 65 ans, en rêvent tous depuis longtemps. Ils le préparent assidûment depuis quelques années, ils se sont fait et refait les scénarios dans leur tête et puis ils y sont, enfin, prêts à découvrir ce royaume que les terriens connaissent si peu. Tous s’attendaient à être ébranlés par l’expérience qui les a propulsés d’une dernière nuit à l’abri des regards aux feux des projecteurs, puis au large. Mais il faut le vivre pour le croire, tant le tourbillon d’émotions est intense et emporte tout le monde avec lui.
Les marins, tous fêtés, tous acclamés
Tout commence en fin de nuit dans une ville déjà bien éveillée. Au village, les membres des équipes arrivent au compte-goutte. Visage concentré, dernières consignes, dernières vérifications et derniers moments dans un calme relatif. Le ponton se remplit progressivement, les abords du village et du chenal aussi. 7h24, les radios crépitent : « Dalin arrive ».
Charlie descend sur les pontons, une allée humaine s’est formée autour de lui. Il inaugure ce qui va devenir systématique pour les adieux : les marins acclamés par chaque team en traversant les pontons. habitude prise lors de la dernière édition, quand la crise sanitaire avait empêché le grand public de vivre ça. « C’était plus facile il y a quatre ans », souffle Maxime Sorel (V and B - Monbana – Mayenne). Les skippers sont salués par le président du Vendée Globe et du Conseil départemental de la Vendée, Alain Leboeuf, rejoint un peu plus tard par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, et par un autre de ses prédécesseurs, Philippe De Villiers.
« Le départ, c’est à chaque fois plus gros et plus fort » sourit Louis Burton (Bureau Vallée). Pip Hare (Medallia) parle « d’expérience incroyable », Sébastien Simon (Groupe Dubreuil) « d’une fierté », Oliver Heer (Tut Gut) d’un moment « très spécial et très intense ». « La prochaine victoire, ce sera d’être à l’arrivée », assure Denis Van Weynbergh (D’Ieteren Group). La femme de Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) lui dit un peu autrement : « tu reviens ici, je ne veux pas te voir avant !»
Les stars sont celles qui partent mais aussi celles qui les regardent. Il y a des anciens vainqueurs (Vincent Riou, Armel Le Cléac’h), des observateurs avisés (Loïck Peyron, Charles Caudrelier, Rich Wilson, Catherine Chabot, Marie Tabarly, Cole Brauer), des membres d’équipe prestigieux (Alex Thomson, Franck Cammas, Alain Gautier, Yann Eliès, Halvard Mabire). Et puis des personnalités du sport - la judokate Romane Dicko, le handballeur Nikola Karabatic, l’alpiniste Charles Dubouloz, la surfeuse Justine Dupont - qui immortalisent le moment de leurs côtés. Le chanteur Patrick Bruel n’est pas loin, l’écrivain Erik Orsenna aussi. L’Académicien salue « ces marins qui sont accompagnés par les rêves qu’ils portent. Au fond, ils naviguent tous pour célébrer la mer ».
Un peu plus tôt, l’astronaute Thomas Pesquet et François Damiens plaisantent devant Initiatives Cœur. « On parle des marins mais on oublie que nous aussi on s’est levé tôt ! », s’amuse l’acteur. Il devient plus sérieux : « ils doivent avoir tellement envie de partir. Imagine Jacques Brel qui reste 50 minutes derrière le rideau de l’Olympia. À un moment, il a juste envie de monter sur scène ».
Le show et l’attente
La scène, c’est pour un peu plus tard mais ça n’empêche pas certains marins de faire le « show ». Fabrice Amedeo (Nexans - Wewise) traverse le ponton comme un boxeur, Benjamin Ferré (Monnoyeur - DUO for a JOB) sort son enceinte portable et se met à danser en rythme devant une assistance hilare. Certains se sont habillés pour l’occasion : un caban chic pour Antoine Cornic (HUMAN Immobilier), une casquette à la Corto Maltese qu’Alan Roura (Hublot) garde pour les grandes occasions, un costume de pirate avec un perroquet sur l’épaule pour Damien Seguin (Groupe APICIL). Kojiro Shiraishi (DMG Mori Global One) a remis un kimono, sombre et sobre, et Xu Jing Kun (Singchain Team Haikou) un "han fu", un vêtement traditionnel chinois bleu et or.
Chaque skipper avait 15 minutes entre la descente sur les pontons et le moment où ils larguaient les amarres. Un quart d’heure, c’est long. Après les interviews et les embrassades, il y a aussi la difficulté de l’attente qui semble interminable. Le temps prend de l’épaisseur et tout semble irrespirable. Le regard de Samantha Davies (Initiatives Cœur), Paul Meilhat (Biotherm) et Sam Goodchild (VULNERABLE) semblent un long moment se perdre vers le ciel. Romain Attanasio (Fortinet – Best Western) sautille sur le ponton en attendant le go de la direction de course. Jean Le Cam (Tout commence en Finistère - Armor-lux) a les mains dans les poches, proche du mât, comme s’il réservait ses mots et l’émotion qui va avec.
L’émotion, une onde qui se propage
Parce que l’émotion est là, elle affleure, saisit les corps, fait couler quelques larmes et pousse à des accolades un peu plus appuyées. Arnaud Boissière (La Mie Câline) peine à trouver les mots devant les caméras, Violette Dorange (Devenir) fond en larme à l’approche de la zone des interviews, Maxime Sorel (V and B - Monbana – Mayenne) en fait de même dans les bras de son frère, très ému lui aussi. Ça se propage comme une onde sur les joues rondes d’une des filles de Yannick Bestaven (Maitre Coq), sur le visage rougi de la femme de Sébastien Marsset (FOUSSIER) et même sur la joue droite de Jérémie Beyou. Le skipper de Charal a déjà répondu aux sollicitations médiatiques quand il prend ses enfants dans les bras puis la petite dernière, 4 mois, dont la poussette est au bout du quai. Jérémie s’y attarde, l’embrasse tendrement avant de vérifier que la petite est bien attachée : il y a des réflexes de terriens qui ne s’oublient jamais.
Les deux enfants de Louis Burton (Bureau Vallée) restent assis avec lui à l’arrière du bateau. L’aînée de Guirec Soudée, trois ans, reste longtemps dans les bras de son papa. Elle a l’air sérieuse, comme pour ne rien rater avant de poser délicatement sa tête contre l’épaule de son père. Les étreintes valent décidément bien mieux que les mots. On le constate un peu plus tard chez Tanguy Le Turquais (Lazare) qui prend dans les bras chaque membre de son équipe et sa soeur, qui s’occupera de sa fille pendant tout le tour du monde, un peu plus. Ensuite, Tanguy traverse le ponton et file embrasser sa compagne Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence), juste avant qu’elle ne largue les amarres.
Et le show redouble d’intensité
Parce que les larmes ne coulent qu’un temps, il faut se donner du courage comme on peut. Certains le font par le rire, en plaisantant avec la direction de course. C’est le cas de Giancarlo Pedote (Prysmian) - « je fais la course pour discuter avec vous ! » - ou encore d’Alan Roura (Hublot) - « le chemin à prendre, c’est bien à gauche, on tourne et on va en bas, jusqu’au Cap de Bonne Espérance ? ». Sur son bateau, Violette Dorange (Devenir) reste longtemps contre son père puis tire la langue sur le pont. Justine Mettraux (TeamWork-Team Snef), émue comme rarement, se pince les lèvres alors que Conrad Colman – pieds nus et yeux embués – lance un « let’s go » à la cantonade. Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA) se met à siffler et à taper sur son bateau comme pour expurger la tension du moment, tout comme Benjamin Dutreux (Guyot Environnement) qui harangue la foule.
Dans l’effervescence, il convient de ne pas rater ses manœuvres en s’extrayant des pontons. Il a fallu parfois s’employer pour s’assurer que ni les foils ni les coques ne soient endommagés. La suite, c’est le show qui redouble d’intensité. Dans tous les abords du port et même jusqu’à la plage, une marée humaine, joyeuse et animée, avait transformé les lieux. Plusieurs centaines de milliers de personnes ont transformé le chenal en stade nautique, offrant aux skippers la plus belle des haies d’honneur. On a donc fait la fête à l’heure de la grasse matinée ou de la messe, avec des chants, des banderoles, des olas en pagaille et des cris de joie. Un sacré moment de partage, d’émotion et d’excitation. Un témoignage de fraternité et de communion comme si le monde des terriens avait offert à ces explorateurs des mers ce qu’il avait de meilleur.